Article de Jean Guiffrey, paru en 1927 dans La Renaissance de l'art français

 

JEAN DUNAND - LE STUDIO DE MADAME AGNES


L'Exposition de 1925 fit connaître le degré d'évolution de l'"Art Décoratif moderne". Elle en fixa les caractéristiques, précisa les audaces, révéla les faiblesses et en affirma les conquêtes ; elle en aura aussi accéléré le mouvement.

Déjà peuvent être notés bien des progrès sur ce que cette grande fête artistique nous avait montré : le rôle de l'artiste, s'est accru ; il a étendu son action, on l'accueille, l'appelle et le recherche où naguère il n'avait pas accès, ou tout au moins était à peine toléré. Ainsi l'atelier de modiste aussi bien que la maison de couture lui ont été grand'ouverts ; il y donne des conseils, fournit des modèles, procure même des éléments de décoration qui rendent le plus souvent infiniment précieuses - et pour l'étranger tout à fait inimitables - les créations de ces excellents centres d'Art, si charmants et si vivants.

Il faudra bien écrire, un jour, la part de quelques-uns des meilleurs Artistes de notre temps dans les créations de la mode et son évolution. Ces historiens futurs ne pourront, sans faillir à leur devoir professionnel, négliger d'étudier les relations artistiques de Jean Dunand, par exemple, avec quelques-unes des plus notables couturières et modistes contemporaines. Ils diront qu'il dessina, pour elles, des décors d'étoffes, d'écharpes, de chapeaux, que même il ne dédaigna pas de peindre lui-même ou d'orner de laques quelques pièces, qu'il inventa des choses étonnantes et nous ne pouvons déterminer les limites de la révolution qu'amènera dans ce monde, toujours avide de nouveauté et de beauté, sa récente découverte de laque sur soie, conservant au tissu toute sa souplesse, tout en le parant des décors les plus variés et les plus somptueux. Il y a là tout un chapitre de l'activité de ce grand artiste que ses biographes ont, jusqu'ici, négligé de traiter.

La première, croyons-nous, Mme Agnès, demanda des conseils à Jean Dunand, d'abord pour des décorations de chapeaux, d'écharpes, d'étoffes. C'est là que l'on voit les premiers chapeaux ornés de laque et de coquille d'oeuf ; puis furent créés de précieux bijoux, bracelets d'or laqué, boucles et ornements d'oreilles d'un dessin tout nouveau. Le portrait de Mme Agnès ne fut-il pas un des premiers exécutés par Dunand, en laque et en coquille d'oeuf, et ne demeure-t-il pas un des mieux réussis ? Plus récemment, fut terminée la décoration du Salon de Mme Agnès.

Le plafond et les murs de cette pièce étroite et profonde sont ornés de panneaux de laque d'or ; non pas unis et lisses, mais de laque arrachée, selon un procédé utilisé déjà, pour la décoration de quelques paravents. Sur les couches de fond bien poncées est posé un mélange de laque et de terre appropriée dont certains éléments sont arrachés avec une spatule ; ainsi s'obtient une surface inégale, avec des aspérités et des trous, qui est ensuite dorée sur laque rouge, poncée, ce qui, en maints endroits, fait réapparaître la laque rouge du dessous. Ainsi traités, ces panneaux sont doux au toucher, harmonieux à l'oeil, et s'éclairent de la façon la plus agréable.

Le plafond est lumineux, comme il l'était dans le Fumoir de l'Ambassade idéale de l'Exposition des Arts Décoratifs, que décora Dunand, c'est-à-dire que des rampes électriques sont dissimulées par des poutrelles se croisant et se superposant qui les reflètent en faisant régner une lumière tamisée et diffuse. L'extrémité de la pièce opposée à la fenêtre est disposée en niche à trois plans, ménageant l'espace pour un fauteuil bas derrière un petit bureau. Ces deux meubles ont été attentivement étudiés aussi bien pour en fixer les harmonieuses proportions que pour en arrêter les lignes très pures. Ils sont décorés de laques brunes, éclaircies par endroits dans une tonalité rappelant l'écaille et obtenue en recouvrant la laque jaune d'une couche de laque transparente que l'on use ensuite irrégulièrement au charbon japonais. La coquille d'oeuf recouverte de laque jaune poncée et la laque d'or polie complètent la décoration précieuse de ces deux meubles, derrière lesquels, sur les trois plans de la niche, sont disposés des tablettes et des panneaux, ornés de grands plans de différentes tonalités d'or, où certains éléments sont également traités en coquilles d'oeufs, constituant un ensemble du plus heureux effet aussi bien dans ses proportions que dans ses détails. Tous les autres éléments de décoration de cette pièce sont traités avec le même souci de raffinement précieux. Aussi bien la grille de fer forgé, dissimulant le radiateur, que la psyché, constituée par deux panneaux se rabattant sur une grande glace fixée au mur.

Une table, de même matière que le bureau, toujours parée d'admirables fleurs, un divan devant la psyché complètent l'ameublement de ce salon qu'ornent en outre, le portrait de Mme Agnès et une petite vitrine disposée dans l'épaisseur du mur, où lentement, viennent prendre place quelques bibelots, attentivement choisis pour leur exécution précieuse ou leur coloration charmante. Rien n'a été négligé pour faire de ce Salon un ensemble d'une exceptionnelle qualité, où la réalisation soit à la hauteur de la conception. En vérité, il fait autant d'honneur à celle qui en a fourni l'inspiration et donné la commande, qu'au grand Artiste qui le conçut, en arrêta tous les détails et en poursuivit la magnifique exécution avec son habituelle maîtrise.

Puisse un aussi noble et rare exemple être suivi de nombreux imitateurs...

 

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