1919-1921

L'obsession de la laque conduit Jean Dunand à prolonger ses recherches et ses expériences en les multipliant jusqu'à ce qu'il arrive à mettre au point des procédés de fabrication aussi parfaits que ceux de ses illustres devanciers. C'est cet acharnement, ce besoin de se renouveler sans cesse qui le conduiront à réaliser l'oeuvre la plus particulière et la plus personnelle de cette période riche en créations artistiques. A la suite de la création de la fondation Blumenthal, oeuvre américaine destinée à soutenir la pensée et l'art français après les sévices de la guerre, Jean Dunand est nommé membre du jury pour décerner chaque année un prix à des artistes méritants. Sans doute est-ce à cette occasion que, faisant connaissance avec le mécénat américain et ses milieux artistiques, on lui donne l'occasion d'exposer à New-York. Cette première intrusion de Dunand sur le continent américain, qui remporte alors un succès certain, sera suivie d'autres qui provoqueront autant de suffrages, jusqu'à faire de lui un artiste de renommée internationale.

Reprenant le rythme annuel des manifestations d'avant-guerre, il participe à plusieurs salons et expositions. Toutes ces manifestations rendent Dunand extrêmement connu dans les milieux artistiques, d'autant que la critique est convaincue que ses oeuvres, expression d'un tempérament fort et original, l'élèvent au-dessus de ses confrères. L'évolution de son style est manifeste. Si les formes retenues restent amples et épanouies avec beaucoup de souplesse, les décors font apparaître une nette évolution d'une figuration assez stylisée vers une géométrisation de plus en plus systématique (cercles, rosaces, motifs rayonnants...). Au Salon d'Automne, les objets d'art exposés sont nombreux et traités avec somptuosité et intelligence. Ils confirment la critique dans la supériorité à la fois esthétique et technique des oeuvres de Dunand qui entre ainsi dans la catégorie des artistes dont on attend avec impatience les nouveaux modèles. Le 1er novembre 1919, il est nommé Chevalier de la Légion d'honneur.

En juin 1920, eut lieu au musée Galliera une exposition intitulée Pendules, cartels et pendulettes. Jean Dunand y proposait des boîtiers de montre de gousset extrêmement plats dont les décors géométriques parfaitement dessinés le disputaient à la chaude couleur de leur patine. Reprenant les techniques de damasquinage et d'azziminia des Perses, Dunand se tailla une réputation d'artiste extrêmement habile. Sa participation à la Société Nationale des Beaux-Arts fut également saluée par la critique artistique. La laque n'apparaît alors que comme un revêtement de protection, ou comme une patine, mais pas encore comme faisant partie intégrante de la décoration.

Le 30 avril 1921, naît Robert, sixième et dernier enfant de la famille.

Depuis la fin de la guerre, Dunand rêve d'étendre l'utilisation de la laque à la décoration même de ses pièces. Au Salon des Artistes décorateurs de cette même année, Dunand présente un grand panneau recouvert de laque, commandé par un ami artiste peintre, Henry de Waroquier, dont le carton qui sert de modèle représente des barques de pêcheurs, voiles au vent sur fond de paysage montagneux. La palette sombre et colorée de ce peintre s'adapte merveilleusement bien aux coloris naturels des laques. La laque devient partie intégrante d'une décoration en couleurs. Tous les types de décor géométrique qu'il avait patiemment mis au point pour décorer ses dinanderies se trouvent transposés sans difficulté dans son art du laque. Il domine maintenant suffisamment la matière pour l'utiliser avec aisance. Sur le corps des vases, l'effet des compositions géométriques est somptueux. Il décide d'approfondir cette démarche et de la généraliser en l'appliquant aussi à des meubles.

Il est successivement nommé membre du jury de la Société d'Encouragement à l'Art et à l'Industrie; membre du Conseil de perfectionnement à l'École des arts appliqués et président de la classe de dinanderie à l'Exposition nationale du travail. Une présentation de montres, en juin 1921, est pour lui l'occasion de prouver une nouvelle fois sa grande habileté manuelle et sa compétence technique. Chacun se plaît à souligner l'esprit d'invention de Dunand et sa curiosité qui lui ont fait rénover le vieux procédé de la tauchie, lequel consiste à faire des sillons en queue d'aronde dans le métal, puis à y insérer des fils d'argent qu'on arase ensuite. A l'automne, un groupe d'admirateurs américains du Maréchal Foch offre au glorieux vainqueur de la Grande Guerre un casque d'honneur qui est l'oeuvre de Jean Dunand (il fait maintenant partie de la collection du Musée de l'Armée).

Une exposition s'ouvre en décembre à la galerie Georges Petit, à Paris. Elle réunit les oeuvres de quatre artistes : Jean Dunand, Jean Goulden, Paul Jouve et François-Louis Schmied. Dunand est l'instigateur de ce nouveau groupe qui expose sous le nom des quatre artistes. Dunand avait fait la connaissance de Goulden par l'intermédiaire de leur ami commun Jean Guiffrey, conservateur au musée du Louvre. Quant à Jouve, artiste peintre de renom que Dunand avait déjà rencontré en 1898, c'est Schmied qui l'intégra au groupe. La plupart des objets de cette première exposition du groupe sont vendus dès l'ouverture et de nombreuses commandes sont prises. L'explication du succès de cette manifestation tient dans le fait que, indépendamment du talent de chacun des participants, une nouvelle idée du luxe et de la qualité y était proposée. De plus, on comprend aisément que si Dunand avait été l'instigateur de ce groupe, il en était également l'élément moteur le plus talentueux. L'exposition referma ses portes le 31 décembre 1921, après que la critique artistique eut rendu compte du succès éclatant de tous les participants.

<<< Page précédente - Page suivante >>>

Retour accueil - Retour menu